Vous voyez d’ici, n’est-ce pas, la salle bien close, la lampe sous son abat-jour, le feu de sarments qui pétille avec un bruit sec, illuminant le plafond à solives. Bébé, heureux et affairé, trottine dans la chambre ; il touche au soufflet, renverse la pelle et regarde avec étonnement et envie son père qui tisonne, tandis que les flammes bleuâtres, longues et minces, lèchent l’écusson de la vieille cheminée aux teintes noires et luisantes.
En Auvergne, la veille de Noël, la nuit venue, la table est dressée devant le foyer. On la couvre d’une nappe bien blanche, et, au centre d’une magnifique brioche, on place un chandelier en cuivre soigneusement fourbi. La maîtresse de la maison fouille dans la grande armoire et revient avec une chandelle précieusement enveloppée dans du papier gaufré. La belle chandelle prend place au milieu de la table. On lit dans un récit du XIXe siècle : « Les préparatifs terminés, mon vieux père, quoique malade, veut assister au repas. Il prend, de sa main tremblante, la chandelle de Noël, l’allume, fait le signe de la croix, puis l’éteint et la passe au frère aîné. Celui-ci, debout et tête nue, l’allume à son tour, se signe, l’éteint, puis la passe à sa femme. La chandelle passe ainsi de main en main, pour que chacun, à son rang d’âge, puisse l’allumer. Elle arrive enfin entre les mains du dernier né. Aidé par sa mère, celui-ci l’allume à son tour, se signe et, sans l’éteindre, la place au milieu de la table, où elle brille - bien modestement - pendant tout le repas ».
Ce rite accompli, le repas commence joyeux, animé, assaisonné par le jeûne de la vigile, agrémenté par l’apparition de la traditionnelle soupe au fromage et par les surprises que ménage la cuisinière. Et quand les grâces sont dites, les enfants vont se coucher, bercés par l’espoir - souvent trompé - d’aller à la Messe de minuit. On roule dans le foyer une grosse souche, et on attend minuit, en chantant les vieux Noëls ou en racontant les histoires d’autrefois. Quand l’heure est venue, quand les habitants des villages arrivent de tous côtés, avec leurs lanternes et leurs torches de paille, on se dirige vers l’église pour goûter les émotions toujours nouvelles de cette bienheureuse nuit. Un habitant des Salces, en Lozère, raconte que quelquefois la ménagère, la mère de famille, n’a pas pu assister à la Messe de minuit. Elle a dû préparer le réveillon. Ce repas consiste souvent, dans ces montagnes, en lait bouilli et chaud, saucisses fraîches et autres productions de la ferme, sans exclure la rasade de vin pétillant.
La chandelle de Noël, conservée précieusement, est allumée au matin du premier jour de l’an, quand les parents et les amis viennent, avant l’aube, offrir leurs vœux empressés. C’est elle encore qui éclaire de ses dernières lueurs les royautés éphémères du jour de l’Épiphanie.
En Provence, toute la famille se réunit à table pour le gros souper. Dès sept heures du soir, les rues de la ville ou du village sont désertes et, par contre, toutes les maisons sont brillamment éclairées ; on oublie pour un jour l’économie du luminaire ; la modeste lampe à l’huile (lou calen) est mise de côté et l’on place sur la table, d’une façon symétrique, les belles chandelles cannelées, ornées de festons.
La place d’honneur appartient de droit au plus âgé, grand-père ou quelquefois bisaïeul. Avant de passer à table, on allume dans la cheminée l’énorme bûche de Noël (cacho fio) qui doit brûler une moitié de la nuit. Le plus jeune des enfants de la maison, muni d’un verre de vin, fait trois libations sur la bûche, tandis que l’aïeul prononce, en provençal, les paroles solennelles de la bénédiction :
Alegre ! Diou nous alegre ! Cacho-fio ven, tout ben ven. Diou nous fague la graci de veire l’an que ven, Se sian pas mai, siguen pas men ! Réjouissons-nous ! Que Dieu nous donne la joie ! Avec la Noël, nous arrivent tous les biens. Que Dieu nous fasse la grâce de voir l’année qui va venir ! Et si l’an prochain nous ne sommes pas plus, que nous ne soyons pas moins. |
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Les enfants, qui ont obtenu, ce soir, la permission de tenir compagnie aux vieux parents, regardent toutes ces gourmandises avec des yeux émerveillés. Dans certaines familles, on met de la paille sous la table, en souvenir de la crèche où naquit le Sauveur. Quelquefois, par esprit de charité, on permet, ce jour-là, aux serviteurs de prendre leur repas à la table du maître. Le gros souper commence parfois tristement, et cela se conçoit : les convives se comptent et la mort cruelle fait que bien souvent il manque quelque parent à l’appel. On cause un moment des absents, on adresse un hommage ému à leur mémoire, on rappelle leurs qualités. Mais la grandeur de la fête, la joie des enfants, mettent bientôt fin à ces tristes souvenirs. Les conversations deviennent plus bruyantes, le vin circule, le nougat se dépèce et, quant l’appétit est satisfait, les regards se tournent vers la Crèche qui représente le grand mystère du jour. C’est devant la Crèche qu’après le gros souper, se continue la fête de famille. On chante avec entrain les vieux noëls provençaux souvent plusieurs fois séculaires. La soirée de famille se prolonge ainsi toute la veillée. Alors tout le monde se rend à l’église pour assister à la Messe de minuit.
Pour les Provençaux, la fête la plus traditionnelle, la plus régionale, c’est bien la Noël. Dans cette veillée, dont l’usage se perpétue avec le même esprit familial depuis des centaines d’années, on s’unit plus étroitement aux morts vénérés et aimés. Bien des inimitiés prennent fin dans cette fête à laquelle on n’ose pas manquer et qui établit entre tous les parents une profonde et chrétienne intimité. Rester seul, chez soi, à l’écart, ce jour-là, serait regardé comme la marque d’un mauvais naturel et d’un cœur peu chrétien.
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Les chandelles ou bougies qui éclairent le repas doivent être neuves et leur usage, ainsi que celui de la bûche de Noël, doit se prolonger jusqu’au jour de l’an.
Le célèbre Frédéric Mistral nous raconte la veillée de Noël en Provence :
« Fidèle aux anciens usages, pour mon père, la grande fête, c’était la veillée de Noël. Ce jour-là, les laboureurs dévalaient de bonne heure ; ma mère leur donnait à chacun, dans une serviette, une belle galette à l’huile, une rouelle de nougat, une jointée de figues sèches, un fromage du troupeau, une salade de céleri et une bouteille de vin cuit. Et qui de-ci et qui de-là, les serviteurs s’en allaient, pour « poser la bûche au feu », dans leur pays et dans leur maison. Au Mas, ne demeuraient que les quelques pauvres hères qui n’avaient pas de famille ; et, parfois, des parents, quelques vieux garçons, par exemple, arrivaient à la nuit, en disant : Bonnes fêtes ! Nous venons poser, cousins, la bûche au feu, avec vous autres.
« Tous ensemble, nous allions joyeusement chercher la « bûche de Noël », qui - c’était de tradition - devait être un arbre fruitier. Nous l’apportions dans le Mas, tous à la file, le plus âgé la tenant d’un bout, moi, le dernier-né, de l’autre ; trois fois, nous lui faisions faire le tour de la cuisine ; puis, arrivés devant la dalle du foyer, mon père, solennellement, répandait sur la bûche un verre de vin cuit, en disant :
Allégresse ! Allégresse, Mes beaux enfants, que Dieu nous comble d’allégresse ! Avec Noël, tout bien vient, Dieu nous fasse la grâce de voir l’année prochaine. Et, sinon plus nombreux, puissions-nous n’y pas être moins. |
« Et, nous criant tous Allégresse, allégresse, allégresse !, on posait l’arbre sur les landiers et, dès que s’élançait le premier jet de flamme : A la bûche, Boutefeu ! disait mon père en se signant. Et, tous, nous nous mettions à table. Oh ! la sainte tablée, sainte réellement, avec, tout à l’entour, la famille complète, pacifique et heureuse. A la place du caleil, suspendu, à un roseau, qui, dans le courant de l’année, nous éclairait de son lumignon, ce jour-là, sur la table, trois chandelles brillaient ; et si, parfois, la mèche tournait devers quelqu’un, c’était de mauvais augure. A chaque bout, dans une assiette, verdoyait du blé en herbe, qu’on avait mis germer dans l’eau, le jour de la Sainte-Barbe.
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A Marseille, pour le repas maigre de la veillée de Noël, il faut invariablement un plat d’anguille, une raïto, sorte de sauce au poisson, et des légumes. Le dessert se compose de fruits secs, de gâteaux, de confitures, en un mot de tout ce qu’on nomme, à Marseille, lesCalenos. Autrefois, suivant la coutume des anciens seigneurs provençaux, la table demeurait couverte de mets pendant les trois jours de fête ; on se contentait de relever la nappe quand la repas était terminé.
Bien que qualifiés de repas maigres, ces collations provençales sont plus plantureux et plus variés que ceux de Bretagne, où rien n’est plus frugal que le repas de la vigile de Noël. A Bignan, par exemple, on fait cuire, dans le four de la ferme, un petit pain rond pour chaque personne de la famille. Ce petit pain est mangé tout sec, sans beurre et sans autre boisson qu’un verre d’eau. C’est là tout le repas de la vigile. On ne commence à manger qu’après le coucher du soleil et lorsqu’on a pu compter au moins neuf étoiles, en mémoire des neuf mois pendant lesquels la Vierge Marie a porté l’Enfant Jésus.
Ce maigre repas achevé, on s’assied autour de la bûche traditionnelle, et la veillée se passe en prières. A Mohon, avant de partir pour la messe de minuit, on tient à réciter « les mille Ave ». Chacun dit un chapelet à son tour, pendant que les autres répondent. Après trois ou quatre chapelets récités de la sorte, on se délasse un peu en chantant quelque vieux Noël ; puis on reprend la prière, jusqu’à ce que soient achevés les vingt chapelets nécessaires pour faire le total des mille Ave.